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Mots et images de Joe Krapov
9 août 2021

LES ÉTRANGES RÊVES DE MARCEL P. Chapitre 8, Bonjour tristesse

Parfois on éprouve le besoin de fuir, de s’échapper, de se perdre.

C’est ce qui était arrivé à Odilon et Céleste, le chauffeur et la bonne à tout faire de Marcel P. Sur cette situation inconnue dont l’ennui certain et la douceur supposée l’indisposaient franchement, celui-ci hésitait à apposer le nom, le beau nom grave de «Congés payés». C’était pourtant bien le cas et à la suite du «troc» négocié avec le couple d’employés, ils étaient partis, le laissant seul dans l’appartement du boulevard Haussmann. Seul ou à peu près.

Marcel, bon prince, leur avait prêté sa voiture et eux lui avaient confié la cage de leur canari, à charge pour lui de nourrir le volatile pendant une semaine.

Le premier matin, une fois le lit défait, l’asthmatique aux longues phrases n’avait pas voulu montrer à l’oiseau qu’il avait des bleus à l’âme mais Caliméro – quel nom idiot ! –, le doux oiseau de la jeunesse, avait bien perçu qu’un orage immobile menaçait, qu’un certain sourire crispé déformait quelquefois le visage de l’écrivain et c’était là le signe qu’un chagrin de passage envahissait l’appartement. Les domestiques manquaient au maître qui ne comprenait pas cet abandon imprévu de leurs rituels communs et ce uniquement pour s’en aller chercher sans lui à St-Tropez un peu de soleil dans l’eau froide. Et ce piaf à nourrir c’était en quelque sorte l’écharde de trop dans le contrat. Avec un canari il fait beau jour et nuit, dit-on. Celui-ci ne chantait pas, celui-ci ne sifflait pas : Caliméro tirait la tronche lui aussi.

La cohabitation des deux protégés de Céleste ne dura du reste que deux jours. Au matin du troisième Marcel était sur le trottoir en bas de chez lui avec une petite valise et la cage de Caliméro dans laquelle – bonheur, impair et passe – on avait l’impression que «faites vos jeux !» rien n’allait plus. Avec quoi le canari avait-il joué à la roulette russe, à quel barbiturique devait-il son coma bizarre ? La bête était allongée au fond de la cage, l’œil étrangement ouvert fixant à travers les barreaux les merveilleux nuages de l’été 1954 mais la garde du cœur vivant de l’oiseau par Marcel semblait bien avoir tourné court : plus question pour l’organe vital de battre la chamade eût-on dit.

***

Bien sûr, depuis l’histoire de l’Aronde 54 et les entreprises érotico-farcesques d’Odette Dejeux, Marcel se méfiait des femmes au volant mais là il y avait urgence : il fallait rendre Caliméro à Céleste A. dont le rire incassable venait à bout de tout problème. Qui plus est, en matière de science vétérinaire, elle était la sentinelle de Paris, capable de soigner toute fièvre, de ranimer le cheval évanoui avant qu’il ne fît le régal des chacals. Elle seule eût pu, à l’instar du père d’Odette D., extirper une molaire au lion de Belfort s’il eût seulement souffert d’une rage de dents au lieu de faire le fier dehors.

Comme Odilon n’était plus là pour le véhiculer, il avait eu recours aux ami·e·s automobilistes et son chauffeur du jour qui se garait justement là devant lui n’était autre que la princesse Valentine de Sagan, l’épouse du prince «caracollant». Les Sagan étaient de toutes les premières, de tous les bals, de toutes les fêtes, du tout Paris aimant, du tout Paris dément et le couple l’avait pris en amitié. Marcel avait droit aux petites tapes derrière l’épaule de la part de Maurice qui le surnommait par moquerie «Le gigolo» tandis que Valentine lui confiait, quand ils se voyaient seul à seule, le récit des chassé-croisé de ses relations saphiques ainsi que d’autres secrets d’alcôve et d’alcools contre lesquels elle n’avait absolument rien. Elle et lui, finalement, étaient devenues «de très bonnes copines» de cheval car elle faisait aussi de l’équitation.

Voilà pourquoi il monta bien plus rassuré que la dernière fois dans ce petit bolide, une Jaguar de type E, que la Sagan conduisait toujours les pieds nus. Moyennant quoi, une fois quittée la capitale, il serra les fesses tout le temps que dura le voyage. La jeune femme un peu garçonne avait un profil perdu de pilote automobile italien et, telle Fangio, ne conduisait jamais en dessous de 160 kilomètres à l’heure. Sur cette belle nationale 7 « que l’on soit quatre cinq six ou sept, qu’on aille à Saint-Trop’ ou à Sète » que Charles Trénet chanterait et enregistrerait un an plus tard, il avait souvent vécu l’enfer pour ne pas mettre pied à terre et se faire traiter de « poulette mouillette ».

Jeu 67 de la Licorne jaguar

***

Nous n’utiliserons pas les faux-fuyants habituels. La nuit que Marcel et Valentine passèrent dans la maison de Raquel Véga fut une de ces nuits d’ivresse et de folie qui font la renommée de la Riviera française. Il est des parfums qui ne trompent pas et celui de l’opium dans ce bal costumé, la vue des poudres blanches et des verres coolorés – ce n’est pas un néologisme, c’est une faute de frappe bienvenue - emplis de cocktails étranges, l’alcoolisme et le désir d’éclate de tous ces fêtard·e·s déguisé·e·s laissaient à penser de façon sûre qu’on pratiquait ici les toxiques au premier degré.

 

Jeu 67 de La Licorne Proust en cornette

Dans la bousculade des plateaux à petits fours et des coupes de champagne entrechoquées Marcel P., déguisé en bonne sœur à cornette et trimballant toujours la cage de l’oiseau moribond pour lequel il se faisait un sang d’aquarelle, avait eu droit aux confidences d’une licorne rose.

- Car que cherchons-nous ici, sinon à plaire ? disait-elle. Je ne sais pas encore si ce goût de conquête cache une surabondance de vitalité, un goût d’emprise ou le besoin furtif, inavoué, d’être rassuré sur soi-même, soutenu. Pourquoi il ne bouge plus votre petit oiseau ?

- Je crois qu’il dort. Le voyage en Jaguar a dû le fatiguer. Vous a-t-on déjà dit que vous avez des yeux de soie ?

- Oui ! On me le dit souvent et j’adore passer des nuits de satin blanc. Seriez-vous l’heureux propriétaire d’un château en Suède, ma soeur ? J’ai toujours rêvé de visiter la Suède avec des chaussures bleues et la bénédiction de la religion.

Plus loin la robe mauve de Valentine avait fait beaucoup d’effet à une jeune Lucrèce Borgia déjà bien pulpeuse. La femme fardée, vêtue d’un costume de diable rouge bien qu’elle ne fût pas belge, lui avait confié qu’elle était actrice de cinéma et qu’elle tournait actuellement avec Jean Marais dans un film de Marc Allégret dont le titre serait « Futures vedettes ».

Au fur et à mesure qu’avançait la nuit des couples improbables se faisaient et se défaisaient, s’éclipsaient parfois dans des chambres derrière un écriteau « Ne pas déranger » et d’où s’échappaient souvent quelques cris étouffés, on sait se tenir, quand même, même quand on se lâche.

On put croiser ainsi une carpe et un lapin, une Castafiore et un marin doté d’un anneau à l’oreille, un clone de Landru avec une Piaf minuscule dont la petite robe noire toute simple avait su allumer le cœur et chauffer les sens du bonhomme car ils partirent tout de suite après terminer la nuit dans le foyer du monsieur.

Valentine avait disparu elle aussi avec sa Lucrèce-Brigitte. Etaient-elles allées prendre sur le coup de minuit un bain de lait d’ânesse ou jouaient-elles quelque part dans la grande villa au jeu de la bête à deux bardots ? C’est toujours ce qui se passe chez Bellini quand la Norma drague, non ? De guerre lasse Marcel, un poil éméché et plutôt barbouillé de mélanges divers et de tristitude d’été, finit sa nuit dans la Jaguar en racontant à Caliméro des fadaises de ce genre-ci :

- La netteté de mes souvenirs à partir de ce moment où je trempe ma madeleine dans le thé m'étonne. J'ai acquis une conscience plus attentive des autres, de moi-même. La spontanéité, un égoïsme facile ont toujours été pour moi un luxe naturel. J'ai toujours très bien vécu comme cela. Or, voici que depuis trois jours ta présence m'a assez troublé pour que je sois amené à réfléchir, à me regarder vivre. Je passe par toutes les affres de l'introspection sans, pour cela, me réconcilier avec moi-même. Ce sentiment de la mort du travail est bête et pauvre, comme ce désir de séparer les maîtres et les domestiques est féroce. C’est vraiment une connerie, ces «congés payés» ! Pourquoi pas bosser trente-cinq heures par semaine et avoir la retraite à soixante ans pendant qu’on y est ? Bonjour, tristesse des temps nouveaux ! Enfin, s’il faut être absolument moderne, comme a dit je ne sais plus qui, n’attendons pas ! Dans un mois, dans un an, il sera trop tard. De toute façon, c’est là et bien là ! Las et bien las !».

Après quoi il s’endormit.

***

Jeu 67 de la Licorne Saint-Tropez

Le lendemain matin, tout courbatu, sans se soucier de retrouver Valentine et Brigitte qui avaient dû filer sur une plage abandonnée ramasser coquillages, crustacés et bribes du parfait amour, il prit son petit-déjeuner dans un bistrot du port où l’on ne s’étonna pas plus que ça, avec tous ces fadas de Parigots qui débarquaient l’été, de servir des croissants et du thé à une bonne sœur à moustache, dotée d’une cage à serin, et qui réclamait des madeleines. Serein, on le restait toujours dans ce troquet même si, certains jours, l’envie ne manquait pas au patron d’inscrire du meurtre à la carte des plats servis !

Comme il ne possédait pas l’adresse ici d’Odilon et Céleste il passa à l’Office des maisons louées où il fit chou blanc. Il traîna dans les rues du village de pêcheurs, flâna dans les boutiques de mode, revint poser au marbre de la table en terrasse du bistrot des cartes postales qu’il entreprit de remplir en sirotant un nouveau thé.

Exécuter ce cérémonial avait pour objectif de retrouver les petites musiques des scènes qu’il avait vécues depuis qu’il avait quitté Paris. Les violons parfois s’envolaient dans les aigus pour souligner le passage au-dessus de la Loire et Valentine qui avait klaxonné tout le long du pont de Nevers pour marquer sa joie d’être libre, jeune et heureuse. Un piano dans l’herbe évoquait de façon joyeuse le restaurant «Les Routiers» où ils avaient déjeuné, tels des nobles s’encanaillant, en compagnie de camionneurs baraqués ; du pauvre, forcément, le piano, avec des bretelles et des boutons pour soutenir le pantalon en accordéon. Un quatuor de clarinettes rappelait le jeu des quatre coins du cœur – et du cul ! – dans la maison de Raquel. Une flûte élégante et solitaire illustrait un certain regard tendre de la Licorne aux yeux de soie. Et puis, bien sûr, le silence au bas de la carte – un soupir, ça allait de soi ! – pour y écrire, avant de signer « Avec mon meilleur souvenir et toute ma sympathie ».

***

Jeu 67 de La Licorne plage

 Et puis le miracle des retrouvailles eut lieu. Sur le coup d’onze heures il se rendit à la plage où il y avait un monde fou. Il ôta ses souliers et ses chaussettes pour marcher pieds nus sur le sable au milieu des enfants, des ventres rebondis, des parasols, des coups de soleil, des ballons, des jeux de jokari et sa silhouette de bonne sœur à cornette devait, de loin, apparaitre aussi reconnaissable, incongrue et remarquable que celle de mon oncle Hulot, le fumeur de pipe à chapeau, sur la plage de Saint-Marc-sur-Mer.

Céleste et Odilon qui se chahutaient comme des mômes autour d’un matelas pneumatique Fina furent évidemment bien surpris de s’entendre héler par cette religieuse austère qui jurait dans le paysage en agitant une cage à oiseaux au-dessus de sa cornette. Intrigués ils sortirent de l’eau et s’approchèrent de la jaune laide nonne qui criait «Help !».

- Monsieur Marcel ? Qu’est-ce que vous faites ici ? Vous avez viré travelo ?

- C’est à cause de l’oiseau. Il s’est réfugié dans le fond de la cage et il ne bouge plus.

- Et vous avez fait le voyage de Paris uniquement à cause de ça ? demanda Odilon. Peut-être bien qu’il est tout simplement crevé !

- Il n’y a pas de raison. Le voyage a été calme. La princesse de Sagan n’a pas conduit trop vite. Elle n’a jamais dépassé le 160 kilomètres à l’heure.

- 160 ? Il a dû faire une crise cardiaque dans un virage, voilà tout !

- Faites voir la cage, ordonna Céleste.

Elle ouvrit la porte de la petite prison, saisit le corps de Caliméro mais celui-ci se mit à battre des ailes, à voleter vers la sortie, empli de la joie d’entendre à nouveau la voix de sa maîtresse. Il trouva même le moyen de calter à l’air libre et d’aller se percher sur l’une de ses épaules afin de lancer des trilles énamourés aux oreilles recouvertes d’un bonnet de bain en caoutchouc blanc de Céleste.

Marcel restait abasourdi par ce passage de la catalepsie à un excès contraire mais finalement il était tout heureux de ce rendez-vous manqué de l’animal avec la mort.

***

Sur la route du retour, enfin débarrassé de son déguisement de nonnette en cornette et de l’oiseau capricieux qu’il avait laissé à ses maîtres après le repas au restaurant, il confia à Valentine disparue puis retrouvée ses sentiments intimes.

- Finalement, les oiseaux ne sont pas des cons. Celui-là a réussi à me manipuler et il s’est retrouvé là où il voulait aller, auprès de sa maîtresse, en vacances, à danser le twist à Saint-Tropez.

- Peut-être ! Peut-être, Marcel ! répondit la princesse de Sagan tellement plongée encore dans les brumes de l’alcool, l’ivresse des drogues et le souvenir de l’amour d’une seule nuit que par prudence elle ne roulait plus qu’à 140. Mais peut-être que les oiseaux sont des cons quand même : tu viens sans doute de faire la connaissance d’un canari homophobe !

Cela laissa Marcel muet jusqu’à ce moment du putain de camion où la conductrice dut faire une embardée afin de l’éviter et où la voiture finit sa course folle contre un platane (What else, in France ?).

Là il cria et se redressa en sursaut sur son lit. Il alluma sa lampe de chevet et lut «4 h 47» à sa montre.

A moitié soulagé, il remit le drap sur sa cage, s’agrippa des deux pattes au barreau et se rendormit tout heureux d’avoir survécu aussi au pire dans cet univers-là. Pour un peu il aurait siffloté la berceuse de Brahms dont il ne savait pas s’il l’aimait ou pas. Mais son organisme préféra ronfler comme un moteur de Ferrari.


Ecrit pour le jeu n° 67 de Filigrane (la Licorne) d'après cette consigne

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27 juillet 2021

LES ÉTRANGES RÊVES DE MARCEL P. Chapitre 3, Odette Dejeux

Plus il se couchait de bonne heure et plus il s’endormait tard. Plus il passait des journées vides à jouer au salonnard snobinard et plus ses rêves étaient peuplés de personnages bien vivants, bien actifs, qu’il ne connaissait ni des lèvres ni des dents et pourtant, cette fois-ci, il aurait pu.

Elle s’appelait Odette Dejeux. Son père était le roi du bridge et il avait trouvé une martingale géniale pour gagner beaucoup d’argent à la roulette : il était chirurgien-dentiste.

C’était une blonde ravissante et à dix-neuf ans, elle avait déjà son permis de conduire et possédait sa propre voiture, une Simca Aronde 54.

Marcel P. s’étonnait beaucoup de ce qu’elle s’intéressât à lui au point de lui proposer, ce jour-là, une balade en voiture jusqu’au sommet du mont Pilate.

Il se sentait perdu dans ce cauchemar-là et comme soûlé du piapiatage insignifiant de la donzelle, tout aussi plein de vides que ses propres longues phrases.

Tantôt elle lui parlait de son grand-père qui était tombé au Chemin des Dames (cinq ans plus tôt ???), tantôt de sa tante Alphonsine qui avait triomphé au Châtelet dans le « Mikado » de Gilbert et Sullivan et dont la tournée était allée jusqu’aux Philippines. A Manille elle avait rencontré celui qui était devenu son mari, Augustin Lacrapette, un négociant richissime, tout le contraire d'un pouilleux mais barbu autant que Landru et surtout pas du tout puant comme millionnaire. Cette union faisait suite à une belle série d’échecs sentimentaux d’autant plus retentissants qu’ils étaient restés secrets, sauf pour la famille.

Odette conduisait très vite et avait tendance à se déporter sur la gauche dans les virages pendant qu’elle énumérait les ramifications de son arbre généalogique. En même temps que cela elle mâchonnait une espèce de bonbon élastique bizarre que Marcel n’avait jamais vu auparavant et avec lequel elle faisait surgir parfois, en soufflant dedans, un petit ballon rose hors de sa bouche très maquillée.

En voyant son étonnement devant cela, elle avait chantonné :
- Fraîcheur de vivre, Hollywood chewing-gum ! Mais en réalité c’est un vrai Malabar ! J’aime bien ce mot ! Pas toi, Marcel ?

- On devrait installer des ceintures de protection pour éviter les accidents dans ces voitures rapides, avait-il suggéré en retour, complètement hors sujet. La sécurité était le dada de Marcel et c’était paradoxal parce qu’il passait la majeure partie de son temps chez lui et ne sortait pour ainsi dire jamais de Paris.

Il avait d’ailleurs longtemps écarté cette idée d’un voyage en Suisse et il avait fallu que sa gouvernante, Dame Céleste A., lui annonçât tout de go qu’elle allait prendre des vacances pour qu’il se décidât à concrétiser ce projet de voyage en Suisse. Il avait ouvert des yeux en boule de loto. Comment Céleste pouvait-elle bénéficier, en 1922, de congés payés alors que ceux-ci ne seraient accordés à la populace travailleuse qu’en 1936 ?

Et cette fille qui avait fait plus de mille bornes avec son petit bolide lui vantait, entre deux récits de vie familiale, les prouesses de ses petits chevaux fiscaux, la souplesse du débrayage, les reprises du moteur, meilleures que celle d’un V8 américain.

Et justement, comme, on atteignait le sommet du Pilate et que Marcel avait décidé de s’en laver les mains de ces bizarreries, ledit moteur se mit à tousser. Odette rétrograda et emprunta un petit chemin de terre pour mettre le véhicule à l’écart de la route. Elle fit encore cent mètres en cahotant puis l’automobile stoppa, comme morte, à l’abri de tous les regards.

- Qu’est-ce qui se passe ? s’enquit le loser asthmatique.

- Ca aurait dû me tarot-der plus vite mais la jauge est à zéro !

- La jauge ? Quelle jauge ?

- Le voyant du réservoir d’essence. Il est vide. On est en panne, Marcel !

- Ah ? Et que faut-il faire dans ce cas-là ?

- Montrer qu’on est un homme !

Elle avait approché son visage du sien et vite, très goulument, elle avait collé ses lèvres contre les siennes, mordillé sa moustache, passé ses deux mains dans ses cheveux brillantinés, introduit sa langue dans sa bouche et elle tournait, tournait, suave et sucrée, autour de la sienne alors que ses yeux à lui, grands et brillants comme des billes d’un flipper affolé, ne voyaient plus que les arbres penchés du chemin forestier. Marcel était comme électrisé.

Puis elle s’était écartée de lui, lui faisant cadeau de la boulette de gomme rose qu’il avait calée entre ses molaires interloquées. Elle avait ouvert la boîte à gants, en avait sorti un petit sachet carré et brillant qu’elle lui avait tendu.

- C’est un chewing-gum ? J’ai déjà celui que tu m’as laissé ! marmonna-t-il.

Elle avait éclaté de rire et répondu :

- Déchire-le !

Pendant ce temps elle s’était penchée sur le bas ventre du gars Marcel, avait débouclé sa ceinture, déboutonné sa braguette. Et maintenant sa main s’insinuait dans son caleçon, caressait…

Caressait pas grand-chose en fait !

Deux noix de cajou molles et un canari-dicule sans aucune dureté, aspérité ni turgescence.

Marcel, lui, agonisait, balbécutiait, se comportait en nonne qui geint, estomaqué par l’audace d’Odette qu’il jugeait odieuse.

- Ben alors ? C’est tout l’effet que je te fais, Marcel ?

C’est à ce moment-là qu’il avala le chewing-gum puis lâcha, exsangue :

- Je t’en prie, laisse tomber, Odette !

- Laisser tomber ? Encore eût-il fallu pour cela que l’objet fût monté et bien monté mais ce n’est pas le cas ! répondit-elle en retirant sa main.

Puis il se réveilla en nage et sortit de la chambre pour aller pisser.

***

Quand il se recoucha il se rendormit vite et retrouva la suite de son étrange rêve. Il marchait, seul, sur la route qui descendait à Lucerne, le pantalon mal reboutonné, la cravate de travers, décoiffé, un jerrycan vide dans la main droite, en direction de la station-service qui se trouvait à mi-pente.

Plus haut sur le Pilate Odette avait remis le préservatif intact dans la boîte à gants et puis elle était sortie éclater de rire à nouveau au grand soleil.

Jeu 66 de La Licorne (femme)

C’est la première fois qu’elle se retrouvait échec et mat avec son coup de la panne, une stratégie de séduction qu’elle avait apprise sur une plage de Belgique et qui s’était toujours révélée payante jusqu’à aujourd’hui.

A vrai dire la partie n’était que nulle. Elle était pat seulement, à ne plus pouvoir bouger de la voiture tant la panne de Marcel et la révélation qu’il lui avait faite de sa préférence pour les garçons l’avaient laissée morte de rire sur le siège conducteur de l’Aronde 54.

Elle aimait faire marcher les mecs ; aussi, parce qu’il méritait bien cela en guise de punition, de se taper un kilomètre à pied avec son jerrycan, elle attendit un quart d’heure avant de remettre le moteur en marche.

En arrivant à sa hauteur, elle ralentit, baissa la vitre du passager et lui lança :

- C’est une station Esso, Marcel ! Demande-leur de mettre un tigre dans ton moteur !

Cependant, parce qu’elle n’était pas mauvaise fille et qu’elle aimait beaucoup les contrepets, elle l’attendit à la station pour récupérer son jerrycan et redescendre le z’héros du jour à Lucerne.

- Je m’en souviendrai, de ce nain jaune ! songeait-elle. Mais qu’on ne me demande pas l’impossible : je ne cajole pas les noix des mous !


Ecrit pour le Jeu n° 66 de La Licorne (Filigrane) d'après cette consigne

15 juin 2021

C'ÉTAIT PAR UNE NUIT SOMBRE ET ORAGEUSE

Jeu 65 de La Licorne - Snoopy

Mon cher Snoopy

Je t’écris du château des Milandes en Dordogne (France) où je suis un stage de reconversion en rapace nocturne.

La France a beaucoup changé depuis l’époque où tu survolais les pauvres totos dans les tranchées et le Baron Rouge n’est plus là pour faire des trous dans la carlingue de ton Sopwith Camel.

Notre instructeur, Monsieur Synthex, a du mal à croire que mes amis et moi nous réunissons dans ta niche pour jouer au bridge ! S’il savait que je joue aussi aux échecs et que je suis un spécialiste de l’ouverture 1. f4, dite le début Bird ! J’ai l’impression que pour M. Synthex, comme pour l’adjudant Chaval, les oiseaux sont des cons !

En attendant sa méthode est très efficace et d’effectuer des vols de nuit m’a guéri de mes saignements de bec. Ceux-ci ne survenaient que le jour, lorsque je m’élevais à plus de trois mètres du sol. Dans le noir on a moins conscience de la hauteur à laquelle on se trouve et on est donc moins sujet au vertige.

Encore trois journées, enfin, trois nuitées à tirer et ensuite je reprends l’avion pour les Etats-Unis. Voler au-dessus d’un océan ou même au-dessus d’un lac me donne le mal de mer. Il faudra que je suive un autre stage pour me guérir de ça. Peut-être avec monsieur Mer-moz ? Hi hi hi hi !

Transmets mes amitiés à Bill, Conrad, Olivier et Harriet. Tu peux même aussi donner un coup de patte affectueux au petit garçon à tête ronde, celui que j’ai baptisé « Face de Lune » !

A très bientôt !

Woodstock

Jeu 65 de La LicorneP.S. Je te joins une photo de moi avec le moniteur du stage. Elle a été prise par Titi de « Titi et Grominet ». Ca n’est pas vraiment un aigle mais il est sympa comme garçon.


Ecrit pour le Jeu n° 65 de La Licorne (Filigrane)

d'après cette consigne.

7 mai 2021

ENSEMBLE C’EST TOUT

Jeu 64 de La Licorne

« J’vous écris une petite bafouille
Pour pas qu’vous vous fassiez d’ mouron
Ici on est aux p’tits oignons
J’ai que huit ans mais je m’débrouille »

Pierre Perret - Les Jolies colonies de vacances

 

Tous ensemble nous nous agglomérons
Comme des queues de pelles

Tous ensemble nous nous assemblons
Comme les blés

Tous ensemble nous convainquons
Comme la lune

Tous ensemble nous dévalons
Comme un jour sans pain

Et quand nous serons là
Juste-au-dessus de vous
Nous nous éclaterons
En orage et en pluie

Tous ensemble prenez
Vos jambes à vos cous

Tous ensemble prenez
La poudre d’escampette

Tous ensemble courez,
Baskets et sandalettes
Vous abriter
De la tempête

Les moniteurs après goûter
Vous assembleront pour un temps
Vous dévaleront du papier
Vous aggloméreront autour de l’encrier
Vous convaincront qu’à vos parents
Il vous faut raconter comment

Une colonie de nuages
A gâché vos vacances

Ecrit pour le jeu 64 de Filigrane (L'Atelier de La Licorne)

à partir de cette consigne.

8 mars 2018

MADELEINE NE VIENDRA PLUS !

Tremper son biscuit

Le fit se ressouvenir

De sa vieille tante.

La licorne 34 Proust

Ecrit pour le jeu n° 34 de Filigrane (la Licorne) à partir de cette consigne.

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7 mars 2017

EDMOND ROSTAND, C'EST DE LA POULARDE ?

A Cyrano moutard sa maman disait souvent : « Tes rodomontades me montent au nez ! ».

C’est que dès potron-minet il foutait la frousse au chat. Au lieu de lui filer du mou, il lui faisait moult agaceries. Le jeune gougnafier au visage chafouin avait bien repéré que le chat était pleutre. C’était un matou pusillanime comme on dit dans le Gard. Après ses ablutions matutinales le Mistigri subodorait que le jeune primesautier sortirait de sa besace quelque sottise ou cruauté à son endroit bien destinée. Quelquefois, à brûle-pourpoint, le garnement approchait une bougie de son pelage. « Ca sent le roussi ! » miaulait-il en son for intérieur et en se carapatant. Il traînait son gros ventre au-dehors de la maison, il fuyait les calembredaines du gamin pour aller s’en plaindre au coq Chantecler qui était du genre mère-poule avec lui.

La maman de Cyrano fustigeait fréquemment son marmouset : « N’as-tu donc dans ton escarcelle que des fariboles et des galéjades ? N’es-tu donc point en âge d’aller courir la prétentaine, de lever quelque jouvencelle callipyge, de trousser quelque domestique, à tout le moins de jouer au docteur avec une péronnelle des alentours ? Je finirai par t’emmener chez la sorcière Bardot si tu continues ainsi à faire dans la zoophilie ! ».

Que vous dire d’autre de Cyrano ? De par Dieu, pas grand-chose ! Je n’ai jamais constaté que l’on eût consacré à un paltoquet pareil une pièce de théâtre, un roman ou un biopic ! L’homme n’avait rien pour lui et mentait à tel point que son nez s’allongeait dès qu’il ouvrait la bouche ! C’est la seule chose qui lui valut de rester, dans des manuels d’histoires littéraires pertinents mais obsolètes, comme celui qui servit de modèle à Carlo Collodi pour son histoire de pantin de bois explorateur de baleines. Si n’était sa patrie périgourdine qui lui dresse statue, on l’aurait totalement oublié, ce matamore de rire !

Car, et bien qu’ayant goût pour le Layon aux côteaux mirifiques, je trouve le Bergerac aussi bien gouleyant ! Et donc, subrepticement, je m’en verse un godet et lève mon hanap bien haut ! Certes pas à sa gloire mais à votre santé à toutes et à tous !

Filigrane 24 100524A_026

 

Ecrit pour le jeu n° 24 de Filigrane d'après cette consigne

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